mercredi, 6. juillet 2011

Belgique – La situation en matière de drogues

Réflexion sur une prohibition en mouvement 

Les politiques belges en matière de drogues sont le reflet de la complexité institutionnelle du pays. Il n’est pas évident d’y voir clair, il est difficile de dégager un consensus autour d’une seule politique. La crise politique que traverse actuellement le royaume, 400 jours de gouvernance en affaire courante et toujours pas de gouvernement, reflète assez bien cette complexité. Je ne peux donc ni esquiver la question institutionnelle, ni celle des enjeux qu’elle révèle pour établir le bilan des politiques Drogues et des initiatives de santé menées dans ce domaine en Belgique. Je ne pourrai pas non plus dresser un bilan global, je me limiterai donc en grande partie à parler de la politique drogue menée en Communauté française et en Région Wallonne, c’est-à-dire dans la partie francophone du pays.

Nous y sommes, dans la complexité institutionnelle : Un Etat fédéral, trois Régions (Flamande, wallonne et bruxelloise), et trois Communautés linguistiques (française, flamande et germanophone). Chaque niveau de pouvoir étant doté de ses propres institutions (Gouvernement + parlement) vous imaginez aisément l’imbroglio produit par ce morcèlement du pouvoir. Nous avons, par exemple, cinq ministres ayant la santé dans leurs attributions. Nous aurions pu en avoir six si du côté néerlandophone il n’avait pas fusionné Communauté et région au sein d’une seule institution.

Mon intention n’est pas d’entrer dans le détail de la complexité institutionnelle belge, mais ce détour me semblait indispensable pour entrevoir les difficultés produites par une telle division des compétences réparties entre ces différents niveaux de pouvoir démocratiquement élus. Et de revenir à la source de ce qui parfois crée des conflits d’intérêts, ou met en exergue des convictions différentes, idéologiques le plus souvent, quant à l’exécution d’une politique global et intégrée du phénomène lié aux drogues en Belgique. Des divergences que l’on constate dans l’exécution de cette politique au niveau local (Régions et Communautés).

Le fondement de la législation fédérale drogues est prohibitionniste. D’aucuns joueront sur les mots et nuanceront en déclarant qu’il s’agit d’une politique, globale et intégrée du phénomène de drogues, articulée, par ordre prioritaire, autours de quatre piliers : la prévention, la détection et l’intervention précoce, l’assistance y compris la réduction des risques et enfin la répression. Mais ce serait faire fi de l’inversion systématique de cet ordre des priorités en termes d’investissements et de moyens. Et quand bien même, il faudrait déjà que le Nord et le Sud du pays s’accordent sur une politique commune. L’an dernier des divergences d’opinions sont encore apparues au moment de la déclaration commune de politique Santé-Drogues. Le ministre flamand de la Santé refusant, à l’époque, que le texte fasse référence au « testing » des drogues. Une pratique pourtant soutenue par les autres ministres de la Santé est en œuvre, certes de façon marginale, en Communauté Française1.

Vous commencez à y voir clair ? Une politique commune, mais des préoccupations différentes quant à l’exécution de celle-ci. Une sorte de prohibition à deux vitesses s’accommodant de la bonne volonté de chaque communauté. La question des drogues est ainsi (s’)abordée en Belgique. D’autres exemples pour illustrer la cacophonie du dialogue entre communautés sur les drogues, il y en a. Celui du traitement assisté par diacéthylmorphine, cette fameuse délivrance médicalisée d’héroïne, entre autres. Au terme d’années de palabres perdues en négociation, près de dix ans, un projet pilote, soutenu par le fédéral, a finalement débuté à Liège en janvier 2011. Il faut souligner l’attitude très volontariste de la ville de Liège dans ce dossier, elle a effectivement à force de persévérance et de concessions fini par convaincre les opposants, majoritairement flamands, au projet. Sans vouloir exacerber les divergences d’opinions politiques entre le Nord et le Sud, je prétends que les priorités en matière de drogues ne sont pas les mêmes en Flandre, à Bruxelles ou en Wallonie.

Cette différence d’opinion n’est pas exclusivement perceptible dans les politiques menées en matière de drogues, en témoigne l’enlisement des négociations actuelles de la réforme de l’Etat. Aujourd’hui, se sont surtout deux idéologies politiques majoritaires qui s’opposent : celle de centre-gauche, en Belgique francophone. Celle de droite en Flandre. En d’autres termes, au risque de me rendre coupable d’analyse simpliste, je dirai que la politique drogues menée dans la partie francophone du pays est davantage progressiste par rapport à la Flandre. En précisant pourtant que le défi de la consommation de drogues est relativement similaire sur l’ensemble du territoire. Les besoins sont donc les mêmes, mais la manière de les aborder est différente.

Quoiqu’il en soit, il faut rompre avec l’image d’une Belgique qui d’une seule voix irait dans le sens d’un assouplissement des politiques de lutte contre les drogues. Ou, comme on l’a souvent entendu, vers la décriminalisation de la détention de drogues. En 2003, il y a eu une avancée minime, en termes de politique des poursuites, relatives aux infractions liées à la détention d’une faible quantité de cannabis. Une directive commune des procureurs généraux allait recommander aux parquets d’accorder la plus faible des priorités judiciaires en cas de constatation d’une détention de maximum trois grammes, ou d’une plante femelle, de cannabis à des fins d’usage personnel. Pour autant que cette détention concerne une personne majeure, qu’elle ne trouble pas l’ordre public et qu’elle ne soit pas accompagnée de circonstances aggravantes. En 2003, la notion d’usage problématique a été également reprise par le législateur comme exception à ce régime de tolérance. Mais, une décision, en 2005, de la Cour d’arbitrage jugea cette notion difficile à apprécier, spécialement lorsque le pouvoir d’appréciation est conféré à la police. Dès lors, la notion d’usage problématique a été retirée des textes constitutifs de la nouvelle réglementation belge relative à la détention de cannabis.

Certes, la politique en matière de drogues a progressé, il n’y a plus grand nombre pour croire à un monde sans drogues en Belgique. C’est déjà une avancée, si l’on compare à la Suède par exemple, mais c’est insuffisant. Car malgré ce constat et l’échec, de plus en plus criant, de la prohibition à tous les niveaux (social, économique, santé, justice), rien ne bouge fondamentalement. Au mieux, comme nous l’avons vu, des pratiques de RdR et/ou de soins, déjà largement éprouvées à l’étranger, sont initiées sur le territoire. ou des recommandations sont émises pour éviter les poursuites à des consommateurs de cannabis bien dans la norme.

C’est un peu comme si la prohibition cherchait des stratégies pour amoindrir l’échec cuisant de sa politique. Ne s’agit-il pas de cela ? Une guerre perdue qu’il convient de reconnaître mais dont on cherche à réduire les méfaits en réaffirmant que la meilleure des préventions contre la drogue reste la norme pénale extrêmement coercitive.

1 L’ASBL Modus Vivendi organise le testing avec le soutien de la Communauté Française et de la Ministre fédérale de la Santé (socialiste francophone)

Bruno Valkeneers

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