samedi, 26. octobre 2013

Cannabis, Ma contribution au débat sur la légalisation

Pascal Terrasse est député PS de l’Ardèche et ancien président du conseil général.

Le Parti socialiste, par la voix de Daniel Vaillant, vient de remettre sur la table la question de la légalisation du cannabis. Ce débat de société, par ses aspects idéologiques, juridiques, sociaux et économiques, revient régulièrement au coeur des débats politiques dans notre pays. Pourtant, force est de constater que la ligne suivie en matière de répression de la consommation de drogues n’a pas beaucoup changé depuis des décennies. Pendant ce temps, le problème du trafic, de l’insécurité, et des conséquences de la drogue sur la santé de nos concitoyens, n’ont fait qu’empirer. L’opportunité de l’année électorale qui s’ouvre doit être saisie pour proposer un véritable changement de paradigme. Il est urgent de faire le bilan des échecs passés en matière de politique de santé et de répression de la consommation de cannabis.

Précisons, avant toute chose, que la « légalisation » n’est pas équivalente à une « dépénalisation »: alors que la seconde consiste à retirer à l’usage ou à la détention de cannabis son caractère pénal, la première revient à encadrer la production et la distribution de cannabis, tout en levant l’interdit de son usage. En attaquant la dépénalisation dans la tribune publiée par Le Monde la semaine dernière, Claude Guéant se trompe donc de cible…

Les opposants à la légalisation du cannabis, au sein même de notre parti, font valoir des arguments de poids qu’il ne faut pas négliger. Ainsi, Manuel Valls considère que la légalisation constituerait « une défaite pour les valeurs de la gauche et pour l’autorité républicaine ». Les derniers sondages d’opinion on montré que la majorité des Français est plutôt réticente à une mesure qui pourrait être avant tout interprétée comme un renoncement des politiques de lutte contre l’addiction et les trafics. Toutefois, à ces arguments légitimes qui tiennent le haut du pavé depuis de nombreuses années, on pourrait opposer un pragmatisme qui viserait, face à l’échec des politiques préventives et répressives menées depuis des décennies, à s’orienter résolument vers un nouveau paradigme des politiques de sécurité et de santé publique.

Commençons par cerner l’ampleur du phénomène, dans son aspect économique, social, et ses implications en matière pénale (notamment sur la surpopulation carcérale et l’engorgement du système judiciaire).

Selon le ministère de l’intérieur, le chiffre d’affaires de l’économie parallèle liée à la drogue en France en 2009 avoisinait les 2 milliards d’euros, dont 840 millions pour le seul segment du haschish. Cette manne fait vivre une économie souterraine, entraînant de multiples externalités sociales extrêmement néfastes pour la cohésion sociale comme pour la sécurité de nos concitoyens. De plus, contrairement à l’argent lié à la consommation de tabac ou d’alcool, l’Etat n’en voit pas la couleur, alors même qu’il en paie le coût en termes de coût des incarcérations, du maintien de la sécurité, ou de traitement des maladies liées à la consommation de cette drogue.

De fait, la politique française en matière de lutte contre les addictions est extrêmement dure, comparativement à celle que mènent beaucoup de nos voisins européens. Sans faire baisser la consommation (nous nous plaçons parmi les pays d’Europe où elle est la plus importante), cette politique a des conséquences sur le système judiciaire. Chaque année, 90000 personnes sont interpelées pour usage de cannabis.

Le traitement judiciaire de la consommation de cannabis relève aujourd’hui de l’hypocrisie non assumée. En effet, notre système judiciaire déjà très encombré n’a pas les moyens d’appliquer la politique très répressive qui s’impose en principe; il en résulte qu’un grand nombre de cas aboutissent à des alternatives aux poursuites préconisées par la loi, alors que seulement 20% des personnes interpelées font effectivement l’objet de poursuites pénales. Dès lors que toutes les études montrent qu’il n’existe aucune corrélation entre l’étendue de l’usage et celui de la répression, et que les politiques répressives n’ont toujours pas permis de mettre fin aux trafics, on peut s’interroger sur l’utilité de poursuivre une politique dogmatique sans aucune efficacité.

La politique française a également des conséquences sur le plan de la santé publique: comme tout comportement addictif, la consommation de cannabis est accompagnée d’effets non négligeables sur la santé, et entraîne donc des dépenses de santé assumées par la collectivité.

Face à l’ampleur du problème, une approche pragmatique et responsable, qui ne nie ni les valeurs de la gauche ni les principes républicains, mérite d’être au moins débattue.

Commençons par apprendre des expériences menées par nos voisins européens. De fait, certains se sont engagés depuis plusieurs années dans la voie de la légalisation de la consommation, fortement encadrée par la puissance publique, sans voir le nombre de consommateurs ou les conséquences sanitaires sur la population augmenter significativement.

Ajoutons que la Commission mondiale sur les politiques de drogues, réunissant des experts internationaux reconnus, a récemment appelé à une dépénalisation de la consommation de drogues et à la légalisation contrôlée du cannabis. Il ne s’agit évidemment pas d’aller aussi loin: la situation française, même dans les banlieues les plus touchées par les trafics multiples, est loin d’être la même que celle d’Etats « en faillite », tels que certains Etats d’Amérique centrale.

Quels doivent être, au regard de la situation de notre pays et des objectifs assignés aux politiques de santé publique, les objectifs devraient guider les décisions politiques à l’avenir?

Rappelons d’abord ce qu’est une politique de santé publique: « c’est l’ensemble des choix stratégiques des pouvoirs publics pour choisir les champs d’intervention, les objectifs généraux à atteindre et les moyens qui seront engagés. Il s’agit de maintenir ou d’améliorer l’état de santé d’une population. » Or, sur ce plan, force est de constater que les politiques menées aujourd’hui ne permettent pas d’atteindre l’objectif premier qui est d’améliorer l’état de santé de nos concitoyens.

Au regard du contexte français, quel intérêt la légalisation pourrait-elle avoir en termes de prévention des comportements d’addiction aux drogues et de lutte contre les trafics et l’insécurité qu’ils engendrent?

On dit souvent que l’addiction commence avec les drogues « douces » avant de glisser inexorablement vers les drogues « dures » (si tant est que la différenciation entre drogues « douces » et « dures » ait un sens, quand on voit les ravages de l’alcool ou de la cigarette…). Or, ce n’est qu’une idée reçue, dont on sait qu’elle est dénuée de tout fondement scientifique depuis 1944! Tout alcoolique a commencé par boire du lait, et pourtant on n’a jamais songé à établir un lien de cause à effet ni à interdire le lait…

Au contraire, si on considère les effets de la prohibition d’alcool aux Etats-Unis entre 1919 et 1933, on constate qu’elle n’a pas entraîné une diminution de la consommation, mais a permis aux trafics de se développer tout en suscitant un désir accru de « briser les interdits ».

Ensuite, organiser la production et la distribution du cannabis, et encadrer sa consommation (en l’interdisant strictement aux mineurs, en contrôlant la consommation dans le cadre de certaines activités, au premier titre desquelles la conduite automobile par exemple), pourrait apporter de l’argent dans les caisses de l’Etat pour organiser une vraie politique de prévention, et permettre de lutter efficacement contre l’économie souterraine en donnant plus de moyens à la répression et en tarissant la source de revenus des trafiquants.

Du point de vue politique et philosophique, on peut considérer la légalisation comme novatrice et d’inspiration plutôt libérale (au sens philosophique du terme). Ce serait en effet une des premières fois que le législateur voterait « pour » quelque chose, c’est-à-dire n’interdirait pas un comportement ou une pratique, mais suivrait au contraire une approche consistant à responsabiliser les citoyens, en soulignant les conséquences économiques et sociales de leurs actes et de leurs comportements de consommateurs, et en les plaçant devant leurs droits et leurs devoirs, au lieu d’adopter une approche purement paternaliste. Notons que la position de la majorité présidentielle à ce sujet est très contradictoire, elle qui est si prompte à appeler à une responsabilisation des citoyens, et notamment des bénéficiaires du RSA!!

Ne nous trompons pas de cible. L’ennemi, c’est l’addiction, avec les drames humains qu’elle entraîne au quotidien dans de nombreux foyers. L’ennemi, ce sont les trafiquants, qui menacent la sécurité de nos concitoyens et défient l’autorité de l’Etat, et prospèrent sur la manne financière conséquente que représente le trafic. Les politiques extrêmement répressives menées depuis des décennies, ainsi que les mesures préventives qui leur sont trop rarement associées, n’ont pas réussi à renverser les tendances. Au contraire, tout indique que la situation sanitaire et sécuritaire s’aggrave. Il est du devoir d’un responsable politique d’en prendre acte, et de proposer des réponses à la hauteur des enjeux économiques et sociaux, sans considération d’ordre idéologique.

Doit-on pour autant adopter aveuglément une approche dont le seul mérite démontré pour le moment est sa nouveauté radicale? Je ne le crois pas. C’est pourquoi il me semble que ce changement de paradigme, avant d’être entériné et adopté sur l’ensemble du territoire, devrait être débattu. Un sondage publié le 21 juin semble indiquer qu’une large majorité de Français est favorable à l’ouverture d’un débat, et les prochaines élections présidentielles pourraient en fournir l’occasion. Puis, si le principe de la légalisation était retenu, son application devrait faire l’objet d’une expérimentation rigoureuse (comme ce fut le cas avant la création du RSA). Cela permettrait d’évaluer, à échelle réduite, l’ensemble des effets positifs et négatifs de cette légalisation encadrée sur la sécurité, la consommation de cannabis, et la santé de nos concitoyens.

 

Pour conclure, la priorité doit porter sur une politique de santé publique visant l’ensemble des addictions. De fait, le cannabis est dangereux pour la santé, mais pour autant, sa prohibition n’a pas permis de régler les problèmes existants. La France reste le seul pays Européen où la consommation de drogues est conséquente voire augmente, en particulier chez les jeunes. Notre rôle, en tant que responsables politiques, n’est-il pas d’apporter des solutions à ces problèmes de santé et de sécurité publique, sans préjugés ni oeillères idéologiques?

Ecrit le 23 juillet sur son site www.pascalterrasse.fr

par Pascal Terrasse

Une réponse à «Cannabis, Ma contribution au débat sur la légalisation»

  1. Bat

    « Manuel Valls » (petit ministre d un petit pays) « considère que la légalisation constituerait « une défaite pour les valeurs de la gauche et pour l’autorité républicaine » »
    « La lutte antidrogue a « échoué » et des changements sont « urgents » dans ce domaine, indique un rapport de la Commission mondiale sur la politique des drogues (Global Commission on Drug Policy) (plusieurs professionnels internationaux spécialisés dans ce domaine)
    Doit on en conclure que les valeurs de la gauche de Valls serait « le déni de l échec » ?, et que l autorité républicaine réclame que le citoyen se plie à cette abjecte réflexion d un petit ministre ,dans un petit pays de surcroît « dernier de la classe » en Europe dans ce domaine ?

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