mercredi, 6. juillet 2011

Les prisonniers politiques de la guerre anti-drogues

Un silence médiatique quasi universel s’est appliqué à la troisième grève de la faim consécutive de Bernard Rappaz en 2010, en dépit de sa durée exceptionnelle (120 jours) et bien qu’elle ait légèrement agité l’opinion publique suisse pendant de nombreux mois. Un phénomène semblable frappe beaucoup d’autres militants dans le monde. Dans des pays aussi différents de la Suisse que les États-Unis ou l‘Indonésie, les autres cas de prisonniers politiques de la guerre aux drogues sont nombreux. Dana Beal, Marc Émery, Bernard Rappaz, et une multitude d‘autres cas, tous sont clairement victimes de persécutions pour leurs idées.

Car il s‘agit bien d‘emprisonnement politique. Leur traitement ne relève pas exactement du droit commun. Bien qu‘actuellement, en ces temps post démocratiques, en France comme ailleurs, on ait tendance à confondre. Il y a bien une différence entre la critique d‘une politique étatique, et une infraction de droit commun portant atteinte à des intérêts privés. Fût-ce dans un but politique.

Bien malheureusement, cette confusion s‘installe facilement dans l‘esprit des citoyens peu au fait des principes législatifs. Quoi qu‘il en soit, tous auront été condamnés au terme de procédures judiciaires très éloignées de l‘idée de justice sereine. Comme l‘écrivait La Fontaine dans sa fable Les animaux malades de la peste: « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

De la Suisse…

A la veille de Noël, au 120ème jour, Bernard Rappaz a mis un terme à sa grève de la faim. Il aura été jusqu’au bout des recours judiciaires possibles, et se sera rendu à l’injonction de se réalimenter formulée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, « en l’attente » de l’avis qu’elle pourrait rendre d’ici quelques années.

Puisqu’aucune autorité constituée ne semblait capable d’exprimer la moindre clémence à son égard en dépit de l’injustice manifeste dont il est l’objet, et persuadé que les autorités suisses étaient bien capables de le laisser mourir ainsi qu’elles l’avaient annoncé, Bernard Rappaz a cessé son jeûne pour ne plus mettre en risque sa vie inutilement. Un choix raisonnable, conforme au sens d’une protestation par le moyen de la grève de la faim, qui n’est pas dirigé contre soi, mais bien contre les autorités lorsqu’elles dépassent les bornes de l’admissible.

L‘action engagée par Bernard Rappaz n’attirait pas seulement l’attention sur son cas particulier, mais sur la chasse aux sorcières dont peuvent être victimes les partisans de réformes des législations aberrantes qui régissent les drogues. En Suisse même, de nombreux militants engagés dans le mouvement de réforme, très vivace ces dernières années, ont subi à divers degrés le même acharnement dont a été victime Bernard Rappaz. À tel point qu’il n’est pas exagéré de dire que ce mouvement aspirant à des réformes nécessaires est quasiment passé dans la clandestinité. Une explication aux difficultés à se mobiliser pour la défense de Rappaz, qui aura paradoxalement trouvé le plus gros de ses défenseurs à l’étranger.

Dans le monde entier, l’exceptionnelle mobilisation de consciences dans un désert médiatique tout aussi remarquable, a rassemblé des personnalités extrêmement diverses, en Amérique latine comme aux États-Unis et en Europe, particulièrement en France, où l’on a enregistré, parmi de nombreux autres signataires de l’appel lancé par Jean Ziegler, les soutiens de Daniel Cohn Bendit, José Bové, Mgr Gaillot, Stéphane Hessel, Danièle Mitterrand.

Extraits d‘une lettre de

Bernard Rappaz

Dans son courrier en date du 28 janvier 2011, Bernard Rappaz confie à l‘un de ses soutiens:

«Tout d‘abord, un grand merci pour ton engagement fort! Cette solidarité m‘a véritablement nourri en ces 228 jours de grève de la faim en trois parties, effectués en 2010.

J‘ai donc craqué le 24 décembre 2010, aussi pour rassurer et offrir un cadeau de Noël à beaucoup. J‘aurai pu tenir encore une quinzaine mais on m‘a créé des conditions de détention infâmes, typiques aux prisonniers politiques. Sans radio, ni journaux, j‘avais de la peine à connaître la situation extérieure. Le courrier me parvenait avec 3 semaines de retard, tellement d‘autorités devant le parcourir…

C‘est bien la première fois en 8 grèves de la faim carcérales que je cède avant « l‘ennemi »!

Ce demi-échec est quand même une victoire car je voulais seulement dénoncer une peine injuste et colossale, relancer la question de la réglementation du marché et vivre une expérience forte et inoubliable.

Maintenant la preuve est faite que la Suisse a changé voire basculé dans l‘extrême droite UDC car ils étaient prêts à me laisser crever. Je suis également content qu‘à travers mon action le secteur médical se soit si bien opposé au nourrissage forcé. La preuve est désormais établie qu‘on peut continuer le combat même si on est derrière les barreaux! »

De l‘Indonésie…

Bien avant la surmédiatisation de Florence Cassez, tout le monde aura parlé de l‘affaire Michaël Blanc, jeune français qui risquait la peine la peine de mort, et finalement condamné à la prison à vie pour trafic en Indonésie. En 2009, au bout de dix années d‘incarcération il a obtenu une remise de peine pour «bonne conduite». La condamnation du cuisinier de 35 ans a ainsi été réduite à 20 ans par le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono. La vie de Michaël Blanc a basculé le 26 décembre 1999 lorsqu‘il a été arrêté à l‘aéroport de Bali avec 3,8 kilos de haschich dans des bouteilles de plongée. Depuis son arrestation, il a toujours clamé son innocence, arguant qu‘un ami lui avait confié ce matériel. Au moment du procès, la justice indonésienne avait voulu faire de Michaël Blanc un exemple, en le condamnant à la prison à vie. Une peine très sévère qui avait provoqué une forte émotion en France, où une campagne de soutien avait été lancée, notamment à la télévision avec l‘emblématique fumeur de joints Thierry Ardisson. Depuis son cas est un peu tombé dans l‘oubli.

Michael Blanc n‘est pas à proprement parlé un « prisonnier politique de la guerre anti-drogues », tout juste une vache à lait -pour pallier aux carences budgétaires des pouvoirs publics locaux. On dit généralement qu‘un détenu étranger permet d‘entretenir la détention d‘une dizaine de condamnés autochtones d‘un pays pauvre – comme des centaines milliers d‘autres partout autour du monde, étrangers emprisonnés dans une prison étrangère victimes expiatoires du système prohibitionniste global.

En passant par les Etats Unis…

Emblématique à tout point de vue est le cas outre-Atlantique du leader du Marijuana Party canadien, Marc Emery, extradé le 20 mai 2010 aux États-Unis pour y purger une peine « négociée » de cinq ans, condamnation prononcée le 10 septembre par la Cour fédérale de Seattle. En effet, il risquait plusieurs milliers d‘années de prison pour la « diffusion de graines de cannabis », notamment aux Etats-Unis, une activité commerciale qui n’est pas illégale au Canada, son pays d‘origine et de résidence.

Dans sa dernière lettre, le 13 février dernier pour ses 53 ans, il comptait les jours (570 effectués dont 235 pour bonne conduite sur les 1825 jours) avant sa libération définitive qui, selon ses calculs, se produira le 7 juillet 2014. Cependant, il espère vivement sortir de ce « goulag américain réservé aux étrangers », lorsque sera pris en compte sa demande de transfèrement dans son pays.

Une situation ubuesque qui touche aussi un citoyen américain, le révérend Eddie Lepp, qui sortira de prison le 13 janvier 2018 avec une période probatoire de cinq ans. Son tort est d‘avoir défendu la plantation de pieds de cannabis dans l‘enceinte de son temple, où d‘autres personnes atteintes de maladies graves, jardiniers rastafariens, partageaient leurs récoltes. La volonté acharnée d‘Eddie Lepp pour se faire reconnaître le même rôle qu‘un dispensaire officiel aura finalement aboutie sur sa condamnation. La juge fédérale Marilyn Patel estimant que c‘était « la peine minimale prévue par la loi », tout en confiant que la sentence est « excessive et disproportionnée ». Sur son blog, Ed Rosenthal a publié la dernière lettre qu‘Eddie lui a envoyé du pénitencier de Lompoc en Californie, avec sa photo en pied, montrant le sourire de ce vétéran de la guerre du Vietnam âgé de 57 ans… dont on peine à croire qu‘il soit un dangereux criminel. Enfermé depuis vingt mois, il témoigne directement dans sa lettre de la situation carcérale aux Etats Unis, « C‘est dur aussi parce que nous devons acheter notre nourriture, tant la quantité et la qualité de nos repas sont insuffisantes ».

Libérez Dana Beal, libérons-nous!

L‘un des piliers de la Marche Mondiale du Cannabis, fondateur de « Cures not Wars », Dana Beal est en prison.

Son arrestation le 6 janvier dernier et le montant fixé pour sa libération probatoire indiquent clairement que la DEA (Drug Enforcement Agency) a décidé d‘agir pour mettre à l‘ombre l‘un des combattants historiques pour la légalisation du cannabis, connu aux Etats-Unis et dans le monde entier. Ce n‘est pas la première fois que Dana Beal est arrêté sur la route, dans un véhicule transportant plusieurs kilos de fleurs de chanvre destinées à l‘approvisionnement de dispensaires délivrant du cannabis thérapeutique. En 2009, c‘était dans le Nebraska qu‘il avait été arrêté avec plus de 70 kilos d‘herbe de cannabis, en provenance de Californie qui devait alimenter les Cannabis Buyer‘s club du Michigan et ceux de New York. Un autre procès qui s‘ouvrira au printemps 2011, où il risque jusqu‘à sept ans et demi de prison.

Cette fois, c‘est dans l‘état du Wisconsin qu‘il affrontera le juge William Dyke, maire de la ville de Madison qui réprimait les manifestations pour les droits civiques dans les 60‘s. Ce juge est bien connu aussi pour son conservatisme affiché, quand il était candidat à la Présidence des Etats-Unis en 1976 aux côtés de Lester Maddox, un ségrégationniste notoire.

Selon son avocat, « Dana ne faiblit pas, même en prison il continue son combat. Informé que le juge Dyke a un fils héroïnomane, il souhaite lui faire bénéficier des bienfaits d‘un traitement des addictions avec l‘ibogaïne. Mais à quoi sert de dépenser du temps et de l‘argent pour réhabiliter ce militant âgé de 64 ans qui ne changera jamais? Les conditions de son incarcération lui sont pénibles à supporter étant donné son rythme de vie habituel très particulier, dû à ses insomnies chroniques.»

Comme tous les détenus, il a besoin de notre soutien pour cantiner (nourriture, téléphone) et pour soutenir sa défense lors de son procès qui se tiendra probablement en mai. Envoyez vos dons par mandat postal à son nom.

Et d‘autres cas réels ou supposés

Quid de ces trafiquants réels ou supposés de drogues, qui peuvent être condamnés à la peine de mort dans 32 pays du monde? Quid des récentes exécutions en Chine ou en Iran? Il est évident que ces législations sont disproportionnées, calquées sur des lois d‘exception comme celles antiterroristes. Et parfois, il est raisonnable de se demander si ces lois ne servent pas de paravent commode pour éliminer des opposants ou concurrents gênants. Il serait bon de s‘interroger sur leur validité et leur efficacité réelle, à moins de s‘enfermer dans une logique mathématique rigoureuse sans ne rien vouloir résoudre : l‘augmentation du trafic entrainera logiquement une augmentation des exécutions capitales, des condamnations et des interpellations. De plus, il ne semble pas que les « gros bonnets » aient été réellement inquiétés par ce type de mesure… C‘est une évidence, le maintien de ces lois drastiques paraît obéir davantage à la volonté de disposer d‘un instrument pour l‘élimination des opposants propres aux régimes totalitaires. Tous devraient être libérés immédiatement. Plus que jamais ils ont besoin de notre soutien, plus que jamais nous devons nous engager pour changer le système!

Agissons maintenant!

Au-delà de ces cas emblématiques, il y a des millions d‘inconnus qui croupissent en prison… Anonymes victimes de cette « guerre », comme la peine de mort infligée par un Tribunal en Malaisie le 8 décembre 2010, à Arif Zakuan B. Baharudin pris en possession de 534 grammes de cannabis en mars 2007. (Source: Court documents December 10th, 2010)

Envoyer régulièrement des courriers peut avoir un impact sur les autorités. Cela leur démontre que le détenu n‘est pas abandonné et que l‘attention est forte sur ses conditions de détention, sa santé physique et son moral ; car pour le prisonnier, une simple lettre, c‘est une fenêtre qui s‘ouvre vers le monde libre et apporte du réconfort.

Les adresses

 

Bernard Rappaz

Centre P?nitencier de Cr?te Longue

3977 GRANGES

SUISSE

 

Marc Scott Emery

# 40252-086 – Unit Q POD 2

D. Ray James Correctional Institution

P.O. BOX 2000

FOLKSTON, GA 31537

USA

 

Charles Edward Lepp

Federal Prison Camp Lompoc

# 90157-011

3705 West Farm Road

Lompoc, CA 93436

USA

 

Irvin Dana Beal

c/o: Iowa County Jail

1205 North Bequette Street

Dodgeville, WI 53533

USA

Sources:

www.cannabisculture.com/v2/node/26072

www.green-aid.com

www.freemarc.ca

www.politicalprisoners.free.fr

www.encod.org

www.cannabissansfrontieres.org

www.legaliseinternational.com/humanrights.html

Fotos: Archives, Dana Beal: Flying Coyote, cc-by-sa-2.5

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