Comment la prohibition m’a transformé en criminel (1).
L’interdiction légale de la consommation, de la cession et de la production des psychotropes fait aujourd’hui plus que jamais débat, timidement en France(2) et de façon bien plus ouverte dans le reste du monde (de l’ONU(3) aux Amériques(4) mais aussi en Europe(5)). La principale raison pour laquelle d’aucuns tentent de s’attaquer au droit exceptionnel et à l’omerta mis en place pour lutter contre « la drogue » est qu’il s’agit, en sus d’un profond non-sens économique, d’une véritable pénalisation de comportements anodins ou du moins inoffensifs.
L’Hexagone compterait plus d’un million d’usagers réguliers du cannabis, et au moins cinq cent mille usagers quotidiens. Sans compter tous ceux qui n’en consomment qu’une fois tous les deux ou trois mois(6)… L’âge des consommateurs avance de plus en plus, mais pour autant un gamin de 16 ans a de fortes chances de courir les mêmes risques que ceux d’un papy de 50 ans. En effet, mis à part l’autoproduction il n’y a guère que le marché noir pour s’approvisionner. Or cette seconde méthode est très risquée et peut être particulièrement aléatoire: aller « toucher », que ce soit dans une cité ou même à un ami qui en fait un revenu d’appoint, cela implique surtout le transport peu commode du produit au vu et au su de la police.
De fait, dans le contexte juridique actuel, l’autoproduction tout comme l’achat à un dealer constituent des infractions sévèrement réprimées. Pour être plus précis, c’est carrément le domaine le plus réprimé ces dernières années dans notre beau pays, remplissant plus d’un tiers des prisons de nouveaux délinquants(7).
Donc, tout d’abord il importe de définir l’autoproduction (gage de qualité du produit et de facilité d’accès): cela s’entend comme la culture à domicile, à l’intérieur d’une pièce ou au soleil dans le jardin. Ce qui implique un ensemble de techniques qui ne peuvent s’apprendre qu’auprès de rares copains et/ou livres avertis, mais plus souvent grâce à Internet. C’est sur ce point qu’il faut aujourd’hui s’arrêter : les risques pris dans la « réalité physique » n’ont pas changés en trente ans (peur d’une dénonciation par un voisin, peur de la découverte impromptue de sa culture personnelle par les forces de l’ordre au détour d’une broutille).
Par contre, c’est sur Internet que de nouveaux risques apparaissent avec cette nouvelle pratique: la MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie), chargée d’une pseudo-prévention et d’une vraie collaboration contre les usagers de drogues, s’en était émue l’an passé(8). C’est pourquoi, en concertation avec les services chargés de traquer les terroristes et le grand banditisme, ils se sont attaqués aux cannabiculteurs en retraçant leurs communications électroniques(9). En effet, c’est sur des forums comme les célébrissimes CannaWeed ou ICMAG que s’échangent les procédés et conseils sur la culture à domicile.
Néanmoins, et contrairement aux terroristes et autres grands criminels, les cannabiculteurs ne s’entouraient jusque là que de bien peu de protection pour leurs communications. Une faille révélée par l’enquête de police précitée paraît tellement simple et idiote pour n’importe quelle personne s’y connaissant un tantinet en informatique: les photos postées des cultures personnelles étaient géolocalisées par le système de leurs appareils informatiques. Dès lors, des précautions s’imposent: outre la vérification qu’il n’y ait aucune indication géographique dans les fichiers photos, c’est toute la connexion Internet qui doit être anonymisée. L’anonymat est revendiqué par les « pirates » d’Internet depuis des années, mais très récemment ce sont les peuples et jeunesses d’Orient qui en ont été les figures de proue(10). Assassinés, massacrés, poursuivis, traqués, ils ont du ruser sur les réseaux pour s’exprimer et se rassembler le plus librement possible. Et face à des régimes dictatoriaux paranoïaques et prêts à tout, il faut sortir l’artillerie lourde: l’identification par IP mais aussi les échanges directs entre internautes (mails) passent désormais par le cryptage. Des logiciels comme OpenVPN, TOR, PGP, font donc aujourd’hui partis du paquetage du révolutionnaire moderne(11). Mais pas seulement.
Pour en revenir à nos cannabiculteurs, il faut alors souligner dans ce parallélisme effarant et effrayant les moyens mis en place pour se défendre contre la surveillance des autorités publiques : ce sont des protocoles exactement identiques qui sont utilisés pour préserver un brin de liberté et d’espace privé. Alors que la pénalisation du partage d’oeuvres étouffées par l’actuelle propriété intellectuelle a déjà posé les prémisses d’une surveillance généralisée de la population via Internet, la Prohibition va encore plus loin car elle ne cherche plus seulement ce que vous avez fait sur Internet, mais surtout les actes et comportements qui en ont résulté dans la « réalité physique »(12).
Cette surveillance est aussi plus dangereuse pour le citoyen car les peines alors encourues sont plus lourdes et surtout nettement plus appliquées par les magistrats dévoués que celles concernant le partage d’oeuvres culturelles. Aussi, et face au ratio risques pris/résultats obtenus, l’individu va se tourner vers des solutions jusque là inédites et dignes du roman de crypto-espionnage. Depuis peu ont apparus sur Internet d’exceptionnelles cavernes d’Ali-Baba: la plus médiatique est Silk Road, littéralement la Route de la Soie, qui est un véritable marché noir en ligne pour les produits psychotropes(13). Il était déjà possible de commander des psychotropes de niche, comme la salvia ou les champignons hallucinogènes, via des sites professionnels tels Shayanoshop.
Cependant, Silk Road va encore plus loin : qualifiés abusivement d’Amazon underground, il s’agirait plutôt d’un nouvel Ebay. Ce sont en effet des particuliers, petits et semi-gros producteurs, qui proposent à la vente leurs produits maison. Toutes les drogues y sont disponibles : cannabis bien entendu (c’est d’ailleurs la majorité des produits proposés, sous toutes ses formes même les plus rares comme le ice-o-lator, l’huile ou le beurre), mais aussi LSD, cocaïne, héroïne, etc… Il convient aussi de préciser que peuvent aussi y être achetées des armes à feu (légères et lourdes) ainsi que des munitions de tous types. Avec bien entendu, un système d’appréciations des clients afin de ne pas être floués comme c’est trop souvent le cas au marché noir traditionnel. Sur cette plateforme se concrétise en quelque sorte l’utopie pirate, tant redoutée (avec raison) par les dirigeants liberticides: ce n’est qu’une mise en relation entre acheteurs et vendeurs, à l’accès certes confidentiel (via TOR obligatoirement et OpenVPN accessoirement) mais surtout au caractère décentralisé et anonyme grâce à la double utilisation d’une messagerie cryptée (PGP) et d’une monnaie hors-du-commun : BitCoin.
En vérité, c’est l’utilisation de BitCoin qui marque à la fois le point de non-retour et le signal d’alarme quant à l’horreur et à l’inefficacité contre-productive de la Prohibition: les gens préfèrent désormais utiliser une monnaie non-soumise à la souveraineté des Etats, qui n’est en vérité contrôlée par tout le monde sinon personne, plutôt que d’encourir le risque d’aller en prison alors que nos banquiers caracolent sur le tapis doré de leurs arnaques avec notre argent(14). Pour mieux comprendre les enjeux que cela soulève, il faut y voir à long terme le délitement du Contrat social, c’est-à-dire la perte progressive du pouvoir légitime de l’Etat sur ses citoyens.
Pour conclure, s’impose donc un bref rappel des problèmes et dangers qu’encourent les usagers de psychotropes: se cacher dehors pour consommer, se cacher chez soi pour cultiver, se cacher sur Internet pour acheter. L’anonymat et la décentralisation devenant alors les précautions nécessaires et le symptôme évident d’une injuste criminalisation de citoyens pourtant respectueux des institutions et du droit en général.
1 – Toutes les références de cet article : pour des raisons indépendantes de notre volonté le blog cité a disparu… cet article est l’unique trace de cette réflexion.
2 – Lire sur le blog Droguesnews d‘Arnaud Aubron « Cannabis bientôt dans vos bureaux de tabac »
3 – Rapport de la Commission Mondiale pour la Politique des Drogues www.globalcommissionondrugs.org/Report
4 – Brève AFP « USA, vers une légalistaion du cannabis » sur le site lefigaro.fr
5 – « La dépénalisation du cannabis », note de synthèse – service des affaires européennes. Janvier 2002 senat.fr
6 – « Les niveaux d‘usage des drogues en France en 2010 » – Rapport OFDT /Inpes N°76 – Juin 2011
7 – www.justice.gouv.fr/art_pix/1_2_stat_conda09_20110225.pdf
8 – Lire l‘article « Cannabis, enquête sur les jardiniers dela pègre » sur lefigaro.fr
9 – Tribune collective publiée sur le site
rue89.com : « Voulant lutter contre le cannabis, Etienne Apaire pousse la criminalité »
10 – Lire sur fr.readwriteweb.com, « Bastille day Amndawla en Egypte : Révolution par l‘open data radical »
11 – https://www.torproject.org/download/download.html.en#warning
12 – Lire l‘article « Les faucons antidrogue appellent big-brother en renfort » sur owni.fr
13 – Présentation en anglais sur le site gawker.com « the underground website where you can buy any drug imaginable »
14 – Lire sur http://owni.fr : « Pas besoin d‘être un banquier pour créer de l‘argent »
Par XXXXX
image: Kiki