mardi, 10. janvier 2012

Discours, méthode. La science est une méthode, la prohibition un pâle discours

La science est ce que nous possédons de plus proche d‘une religion planétaire. Attention, pas le seul dogme planétaire, pas le seul clergé planétaire : la seule religion. Étymologiquement. C’est-à-dire que c‘est la seule façon universellement partagée de pouvoir tomber d‘accord. Les langues, les systèmes économiques et politiques, les us, les coutumes, rien n‘est universel dans les habitudes humaines, la science, si. Parce que la science n‘est ni une autorité ni une vérité mais une méthode et mieux que ça : une méthode et l‘espéranto qui va avec pour permettre le consensus sur la foi de l‘expérience.

Ébauche de la méthode.

Pour gagner de l‘ audience dans la communauté scientifique, un résultat publié présente une théorie et les expériences qui y ont mené, qui l‘ont mise en danger et, aux yeux de l‘équipe ou du scientifique qui publie le résultat, l‘ont montrée résistante. C‘est un point important : une théorie scientifique propose des expériences qui peuvent démontrer qu‘elle est fausse. La théorie valide est celle qui survit aux plus d‘expériences dangereuses. Pour ce faire, il faut que plusieurs équipes arrivent d‘une part à reproduire les expériences décrites dans la publication initiale et d‘autre part tombe d‘accord avec la théorie que ces expériences sont censées étayer. C‘est donc par vagues de consensus basés sur l‘expérience que progresse la science. Le plus important, qu‘on ne rappellera jamais assez : sur l‘expérience. Dans le monde réel. Pas des gribouillis cabalistiques sur des cahiers de physique. Pas des mots. Des choses qu‘on fait réagir dans la réalité et qu‘on observe. L‘expérience. Non seulement reproductible mais mainte fois reproduite par mainte équipes compétentes avant de crier victoire ou d‘ailleurs de crier quoi que ce soit : les scientifiques crient rarement et rien que pour ça on ferait bien d‘être tous plus scientifiques.

Avec la méthode qu‘on vient d‘esquisser, on n‘impose pas une théorie en la rendant attrayante, en faisant voter pour elle une majorité de scientifiques ou en vomissant sur celle d‘en face. Une théorie gagne d‘elle-même. Parce que toute personne qui essaye de la prendre en défaut par l‘expérience échoue, parce que tout le monde peut essayer. Voilà pourquoi la science est universelle, voilà pourquoi elle est notre seule chance de tomber tous d‘accord sur quoi que ce soit.

C‘est une sacrément bonne nouvelle, parce qu‘il est un problème dont la solution nécessitera de tomber d‘accord aux quatre coins du monde : la prohibition des stupéfiants et la répression qui entend la faire appliquer. L’ONU, les conventions, tout ça.

Et de fait, ces jours-ci, c‘est la science qui fait avancer les choses là où elles avancent. Le cannabis médical en est un brillant exemple.

Tout médecin qui étudie les effets du chanvre sur l‘être humain en déduit qu‘il est d‘une utilité pharmacologique majeure pour un risque très faible, qu‘il présente même un ratio bénéfice/risque bien supérieur à la plupart des médicaments. Ce constat scientifique gagnant de l‘ audience, il a permis de faire approuver la distribution médicale de cannabis sur prescription dans de nombreux États, des USA et d‘ ailleurs. Rapidement, ces traitements ont été de complaisance : non seulement il ne faut pas justifier d‘une sclérose en plaque pour en bénéficier, mais il suffit maintenant, en Californie comme dans tant d‘États, de payer 50 à 150 dollars par an pour qu‘un médecin vous permette de soulager votre léger stress aux herbes bios. Des âmes chagrines dénoncent alors un détournement du système. Parce qu‘ en Californie des gens comme moi, c‘est à dire en parfaite santé et ne fumant que pour mieux profiter de la compagnie, de la musique ou d‘une séance de méditation, achètent du cannabis médical et ont une ordonnance qui ne devrait être justifiée que dans le cas d‘une pathologie. Je tiens une telle vision des choses pour un purgatoire artificiel, cette absurde et si commune croyance qu‘il faut souffrir de façon intolérable pour avoir le droit de se soulager, qu‘obtenir plus de plaisir quand on va normalement bien est un crime sans nom.

Ma vision du cannabis médical et de son prétendu détournement diffère légèrement.

Le cannabis médical devient légal parce que des médecins se font enfin entendre et parviennent à imposer cette évidence qu‘on tient là un remède de choix et qu‘il est idiot d‘en priver notre pharmacopée. Dans la foulée, beaucoup de gens qui ne savaient sur le cannabis que des bribes de propagande et en avaient peur constatent ses effets sur des proches ou sur eux-mêmes. Il existe une théorie qui dit que le cannabis fait beaucoup de bien pour peu de mal, et qui propose une expérience reproductible pour décider si elle est valable ou pas : observer les gens qui en consomment ou en consommer soi-même. Du jour où le cannabis médical est voté dans un État, il ne faut pas cinq ans pour que presque toute la population ait mené mainte fois l‘expérience et valide tacitement la théorie : le cannabis fait beaucoup de bien pour peu de mal. Il faut bien comprendre que c‘est une façon scientifique de valider une théorie. Ce n‘est pas scientifique parce qu‘un type en blouse l‘a annoncé à la télé, mais parce que tout le monde l‘a scientifiquement éprouvé. Et d‘une telle pratique de la science à la mise en branle des rouages de la démocratie, il y a n‘y a pas un pas mais un instant. La légalisation à moyen terme devient logique, pour tout dire inévitable.

Mais je n‘ai pas répondu à mes esprits chagrins.

Quand des gens pas malades utilisent le système du cannabis médical, quand leur proportion dépasse vite celle des malades, je ne vois aucun problème mais un phénomène logique et très sain.

Je vis en Californie, je n‘ai jamais fumé de cannabis, j‘en ai peur. Je constate d‘abord sur les malades, parce qu‘on n‘a autorisé qu‘eux à en faire usage, la relative innocuité du produit en même temps que son intérêt. Donc malade ou pas, je ne vois pas pourquoi je n‘en consommerais pas quand j‘en ai envie. Or il y a une possibilité légale de le faire, qui permet de détenir, transporter, cultiver ou acheter des quantités largement satisfaisantes pour mon usage, disons de plaisir pour les âmes tristes même s‘il est pour moi plus souvent d‘ introspection, et j‘utilise donc ce cadre légal parce que comme 99% des gens je préfère appliquer la loi que l‘enfreindre. Si ça aide à comprendre : je préfère obtenir une ordonnance dont le nom est un peu absurde dans mon cas que de donner de l‘argent au marché noir.

Et si ce qui chiffonne mes âmes tristes c‘est qu‘ils ont l‘impression de voir hypocritement délivrés des traitements de cheval qui vont rendre malade des gens qui ne le sont pas, je vous rassure, ce n‘est pas de ça qu‘il s‘agit. Ce n‘est pas du Prozac™, du Tranxen™ ou du Lexomil™ que des gens s‘administrent pour rire sans pathologie à traiter : tout au plus prennent-ils une camomille alors qu‘ils n‘ ont pas d‘insomnie, parce qu‘ils aiment le goût. Et en plus, chers esprits chagrins, ils ne cherchent pas à vous convaincre de les imiter.

Pour moi, le cannabis médical et sa façon de faire réfléchir la loi vers une légalisation logique et consensuelle sur 5 à 10 ans est une preuve de la puissance de la science vue comme ce qu‘elle est : une méthode applicable par chacun. Croire sainement en la science ne consiste pas à en attendre un miracle mais à être soi-même scientifique, c‘ est à dire prudent et toujours proche des phénomènes. À se méfier des discours et ne croire que ceux dont a bien voulu l‘ expérience.

Richard Feynman fut un des plus brillants physiciens de tous les temps et comme de juste prix Nobel de sa discipline. Il a dit : « La beauté de votre théorie n‘est d‘aucune importance, aussi grande soit-elle. Votre intelligence n‘est d‘aucune importance, aussi démesurée soit-elle. Si l‘expérience la contredit, votre théorie est fausse. »

Aucune théorie prohibitionniste ne me semble passer le test. Aucune ne propose même l‘expérience qui pourrait prouver qu‘elle est fausse, aucune n‘ a seulement le courage qu‘on la soumette à un tel test. Et elles ne sont même pas brillantes. La prohibition ne sauve même pas les meubles. La science est une méthode, la prohibition un pâle discours : appliquons la première, nous ferons taire la deuxième.

21 novembre 2011

Par Tom Verdier

 

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