Disons le tout de suite, il n‘est pas question de cannabis dans ce livre. Mais son intérêt (même pour les stricts cannabinophiles) réside dans la démonstration du pourquoi et du comment s‘organise un trafic parallèle, et parfaitement illégal.
Bien sûr, l‘héroïne, ce n‘est pas tout à fait les mêmes enjeux que le cannabis. La professionnalisation nécessaire pour la réussite commerciale du projet n‘est pas tout à fait la même.
Raison de plus pour être légèrement fasciné par ce qu‘on découvre dans cette étude du milieu du Sud Est français et de ses ramifications.
Grâce aux contacts de l‘auteur avec des acteurs de l‘épopée marseillaise, cette enquête est hyper documentée. Elle raconte méthodiquement, avec de nombreux exemples, la mise en place du commerce de la « blanche » qui fit la renommée de Marseille. Et on y mesure bien que la réussite somme toute assez exceptionnelle de ce « tentaculaire trafic » n‘a pu se faire que grâce à une intrication étonnante des politiques, des administratifs et des milieux criminels. Comme le souligne Jean de Maillard dans sa préface, les descriptions et les analyses ramènent à Durkheim et son Règles de la méthode sociologique, pour lequel le crime n‘avait rien d‘une anomalie sociale. Et Maillard de continuer «aujourd‘hui, le problème est de faire face à des activités que la société perçoit certes comme criminelles et même hautement dangereuses, tout en faisant preuve à leur égard d‘une tolérance concrète qui contredit chacun des discours qui les dénoncent». Il peut être précisé que les recherches de Colombié ne couvrent que la période 1935-1985 ! Néanmoins, c‘est un document particulièrement instructif qui permet à un lecteur innocent de commencer à appréhender un système que « la panne de connaissance » maintenait au niveau des faits divers. Cela favorise une meilleure compréhension des rodomontades sécuritaires dont on nous abreuve régulièrement sans que rien ne change beaucoup. Ainsi que le dit l‘auteur par ailleurs, désormais, il est possible de comprendre l‘essor et le déclin d‘un des trafics du Milieu français sous l‘angle inédit de l‘économie industrielle, et de comprendre pourquoi le très très grand banditisme d‘aujourd‘hui est aussi prospère que discret. C‘est un livre nécessaire pour essayer de percevoir globalement les interférences qui bien souvent échappent au simple citoyen.
A noter qu‘en 2000, Thierry Colombié avait co-écrit une étude, malheureusement épuisée, sur Drogue et techno : les trafiquants de rave.
Post Scriptum 1
Qui n‘a pas beaucoup à voir, mais sait-on jamais…
Cet été devrait avoir lieu le tournage de Cannabis, un film de Nicolas Boukrief avec Jamel Debbouze dans le rôle de Karim Benhacem , l‘un des premiers avec ses deux frères à s‘être lancé dans le trafic de cannabis à Nice, dans les années 70.
Post Scriptum 2
Malheureusement on ne trouve pas plus de renseignements sur Karim Benhacem dans Drogues store, dictionnaire rock historique et politique que sur le net.
Nous avions déjà parlé du bouquin d‘Arnaud Aubron dans le précédent numéro. Mais c‘est un plaisir d‘y revenir, tant la variété de documentation et la commode forme alphabétique incite à la lecture. Posé dans endroit fréquenté, comme la cuisine par exemple, ou autre endroit, c‘est agréable de l‘ouvrir et de le parcourir. On y découvre au hasard, ce qui en fait le charme, l‘origine du mythique « Four Twenty » – 420, l‘historique des propriétaires et des rumeurs du papier OCB, le récit méticuleux d‘un voyage à Ketama, la position oscillante mais terriblement bien pensante de F. Hollande sur le cannabis, tout sur Mister Nice, l‘étonnante utilisation à haut risque du venin de serpent, et aussi des tas de choses beaucoup plus sérieuses sur les drogues en général, les associations militantes et quelques personnalités se rattachant au sujet. Chaque article est sourcé ou renvoie à d‘autres pour une plus grande information.
Les lettres tenant lieu de chapitre sont illustrées de citations souriantes, dont certaines sont des perles comme celle-ci de Carlton Turner, à la lettre T, déclarant à Newsweek en 1986 «l‘homosexualité semble être quelque chose qui découle de la marijuana». A feuilleter régulièrement sans modération.
Thierry Colombié – Editions Non Lieu/OGC
Par Ananda S.