mardi, 14. mai 2013

La guerre ratée contre «la drogue» mise à mal par trois évolutions majeures.

Au cours des deux derniers mois, l’approche politique en matière de drogues aux Etats-Unis et en Amérique latine a connu des changements plus notables qu’au cours des décennies précédentes. Trois évolutions majeures se sont produites. Prises ensemble, elles pourraient signifier une ligne novatrice entraînant la fin de la guerre ratée contre le narcotrafic.

p06_rbh09_castaneda_guerre_rateeMEXICO CITY – Il y a tout d’abord eu le référendum sur la légalisation du cannabis dans les États américains du Colorado et de Washington le 6 novembre. Pour la première fois, les électeurs du pays qui est le plus gros consommateur de drogues illicites en général, et du cannabis en particulier, ont approuvé, avec une majorité confortable, des projets de loi qui autorisent la possession, la production et la distribution de cannabis.

Bien qu’une initiative similaire ait échoué en Oregon, et que la Proposition 19 (un projet de loi qui prévoyait une légalisation limitée du cannabis) ait été rejetée en Californie en 2010 (par une majorité de 7 pour cent), l’issue des référendums dans les États du Colorado et de Washington a envoyé un message éloquent au reste des Etats-Unis. Ces résultats n’ont pas seulement donné lieu à un conflit entre la loi fédérale et la législation de ces États, mais également souligné un changement d’attitude analogue à celui concernant le mariage homosexuel.

Mais la réaction du président Obama à ces référendums, dans deux États qui ont largement voté en faveur de sa réélection, est tout aussi importante. Les défis politiques et juridiques posés par ces nouvelles lois ne sont pas minces: la marijuana est toujours un produit illicite aux termes de la loi fédérale américaine et des conventions internationales ratifiées par les Etats-Unis. Sur d’autres questions – notamment l’immigration – Obama a indiqué que l’autorité fédérale avait la primauté sur la législation des États. Le sujet reste par ailleurs sensible : si des sondages d’opinion réalisés en 2012 montrent pour la première fois qu’une petite majorité des Américains est favorable à la légalisation du cannabis, une grande partie de la population s’y oppose vivement.

Lors d’une interview le 14 décembre, Obama a émis trois points de vue novateurs: il a tout d’abord indiqué que l’application de la loi fédérale sur le cannabis dans les États du Colorado et de Washington n’était pas une priorité de son administration, qui a «d’autres chats à fouetter». Il a ensuite réitéré son opposition personnelle à la légalisation, en ajoutant «à ce stade». Pour la première fois, un président en exercice a sous-entendu qu’un changement de la ligne politique à ce sujet était possible, voire probable. Enfin, Obama a préconisé la tenue d’un «débat national» sur la question de la législation fédérale par rapport à celle des États à ce sujet. L’importance de ces déclarations ne doit pas être sous-estimée.

Le troisième changement de ces derniers mois est intervenu dans les principaux pays fournisseurs de drogues : au Mexique, par lequel transitent pratiquement toutes les drogues à destination des Etats-Unis – cocaïne, héroïne, marijuana et métamphétamines. Le 1er décembre, Enrique Peña Nieto a succédé à Felipe Calderon comme président. Comme ailleurs, la période de transition a permis d’examiner les politiques du gouvernement sortant, même si la nouvelle administration n’entend pas modifier ces politiques à court terme. Heureusement pour le Mexique, l’histoire semble juger sévèrement la «guerre à la drogue» de Calderon.

Fin novembre, le Washington Post a publié des documents internes du gouvernement mexicain, communiqués au correspondant local du journal, montrant que plus de 25.000 personnes ont disparu au cours du mandat de six ans de Calderon, en sus des quelques 60.000 morts directement liés aux guerres entre narcotraficants. L’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch a envoyé une lettre ouverte au nouveau président, lui demandant ce qu’il comptait faire au sujet des milliers de Mexicains disparus. Ensuite, par une série de fuites et de déclarations explicites, la nouvelle administration a souligné le coût élevé, aux plans juridique, bureaucratique et financier, de l’action du gouvernement sortant, et que la criminalité, sous diverses formes, était en nette hausse malgré l’augmentation des dépenses consacrées à la sécurité et à l’application des lois.

En bref, l’emblème le plus récent de l’approche traditionnelle, imposée par la communauté internationale, de la lutte antidrogue, basée sur des politiques répressives et la prohibition, s’est révélé être un échec catastrophique, qui a coûté cher au Mexique sans pour autant produire de bénéfices pour ce pays, ni pour le reste de l’Amérique latine ou les Etats-Unis. Les principaux défenseurs de cette approche (Calderon, l’ancien président colombien Alvaro Uribe, l’actuel et anciens présidents du Brésil, et les conservateurs et agences de sécurité américains) perdent en conséquence le soutien de l’opinion publique. Les avocats d’une stratégie alternative (entre autres, les présidents Juan Manuel Santos et Otto Perez Molina, respectivement de la Colombie et du Guatemala), basée sur des considérations de santé publique et favorable à la légalisation, gagnent du terrain.

L’Uruguay devrait approuver une législation en janvier prochain qui légalise pleinement le commerce du cannabis. Vers le milieu de l’année prochaine, l’Organisation des États américains (OEA) doit présenter aux chefs d’État du continent un rapport sur les stratégies alternatives à la guerre contre le narcotrafic et les exemples de «meilleures pratiques» dans d’autres pays. Et il est probable que d’autres États américains approuvent soit la légalisation du cannabis, soit sa légalisation pour usage thérapeutique (18 États l’autorisent déjà).

Il semble qu’une transformation radicale de la politique en matière de drogues soit en train de se produire. Elle n’interviendra pas du jour au lendemain, ni partout ou pour toutes les drogues. Mais après des décennies de bains de sang, de répression et de criminalisation, le vent commence à souffler dans la bonne direction. Il est dommage qu’il ait fallu autant de temps.

Par Jorge G. Castañeda – Professeur de Sciences politiques à l’Université de New York. Traduit de l’anglais par Julia Gallin (avec son aimable autorisation).

 

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