mardi, 25. juin 2013

Météo cannabique : vers une éclaircie ?

Pour mettre cette nouvelle chronique en accord avec le thème de la gazette, nous avons retenu certains faits marquants de l‘actualité cannabique de ces derniers mois, relatifs à trois thèmes principaux: Les Cannabis Social Clubs, le cannabis thérapeutique, et la violence récurrente liée au trafic.

p03_sirius02_raph_rbh23N03Remontons jusqu’au 16 février, quand Libé érige au rang d’événement la démarche de reconnaissance légale des CSC. Le journal s’implique pleinement: en Une, «Cannabis: rallumons le débat» (photo d’un joint debout, sous un rond de fumée) ; en p.2 et 3, un article («Les cannabis clubs forcent la loi») et une analyse implacable («Les politiques restent accros à la répression»). Examinons l’argumentation de François Sergent, dans son éditorial intitulé «Débattre». Pour défendre cette position, il fait valoir d’abord l’usage massif du cannabis en France, malgré le tout-répressif («milliards de joints fumés» depuis l’appel du 18 joint 1976; «4 millions» ; «record d’Europe»). Il souligne ensuite la pertinence de l’action des CSC, qui vont «défier cet interdit, au plus près de la société telle qu’elle est» (pointant, a contrario, combien l’interdit est déphasé). Mais il se croit obligé d’affirmer: «Il est évident que la dépénalisation du cannabis n’est pas une solution holistique et miraculeuse, comme le disent un peu facilement ses zélotes.» Caricaturer les propos des partisans d’une réforme est une ruse rhétorique qui permet à l’éditorialiste de s’en distancier, pour paraître objectif… mais pas forcément plus crédible. Dominique Broc, dont le procès «ressemblait plus à un combat politique qu’à une joute juridique» (Libé du 8/4), est condamné à huit mois de prison avec sursis et 2500 € d’amende, «une peine relativement lourde», juge Libé du 18/4. En attendant pire: une dissolution probable des CSC (jugement le 20 juin), nous dit l’Express du 20/5.

 

Peut-on espérer de meilleures nouvelles du côté du cannabis thérapeutique? La ministre de la santé Marisol Touraine «étudie la modification d’un décret qui permettrait de lever l’interdiction de la commercialisation de tout médicament dérivé du cannabis», annonce Le Monde du 1/3, qui y voit «une mince avancée, mais un fort symbole». En effet, «pour la première fois, le cannabis est donc envisagé non plus seulement comme stupéfiant, mais aussi comme médicament.» Il serait temps: LM rappelle que 50 demandes d’autorisation du Sativex ont été rejetées par l’Agence du médicament (ANSM)… Comme le constate B. Vallaeys, dans un billet: «Dans plusieurs pays, le cannabis est utilisé légalement comme médecine (…). La drogue peut aussi soigner. Alors pourquoi s’en priverait-on? Les armoires à pharmacie ne sont-elles pas des coffres de toxicomanes? Mais la «came», dit la bien-pensance, c’est autre chose. Elle a sa place dans la pharmacopée, mais pas question de l’utiliser.» («Camés à la morale», Libé du 15/3). Comme pour la contredire, Daniel Vaillant, interviewé par Libé du 26/3, annonce vouloir faire voter une proposition de loi sur l’usage thérapeutique du cannabis car «les patients subissent une double peine: la criminalisation de leur usage thérapeutique s’ajoutant aux souffrances liées à leurs maladies». Dominique Loumachi, myopathe, en sait quelque chose: il est condamné à 300 € d’amende par le tribunal de Belfort, qui a refusé de lui reconnaître le droit de fumer du cannabis «par nécessité» (le Nouvel Obs et Le Progrès du 13/3). Ce serait en effet trop simple… Comme d’autres malades, il devra espérer compter sur les médicaments à base de cannabis ou de ses dérivés, si toutefois il correspond aux conditions d’usage: «pour certains patients bien définis et selon des modalités très encadrées», précise Le Monde.fr (8/6). En outre, s’agissant des produits, notamment le Sativex, ««la modification du texte ne présage pas de l’évaluation des bénéfices-risques de ce médicament» par l’ANSM, et donc de l’autorisation de mise sur le marché», souligne M. Henry, citant M. Touraine dans Libé du 10/6. Il y a loin du spray aux lèvres…

 

«Évolution» de la réponse pénale, Le Monde du 8/4 s’enthousiasme pour une possible généralisation de la «transaction douanière», une amende qui a pour «avantage certain: la sanction immédiate et financière des consommateurs ou petits revendeurs de cannabis pour lesquels la réponse pénale est incertaine»(…) «Pour beaucoup, l’amende vaut mieux que l’hypocrisie actuelle», ose LM, rappelant que «près de la moitié des interpellations finissent en rappel à la loi et à peine 1 % au tribunal correctionnel». Mais l’hypocrisie, c’est le principe même de la pénalisation de l’usage, et non l’insuffisance supposée de cette pénalisation… LM explique finalement que si «l’amende douanière n’a pas été généralisée (…) c’est aussi parce qu’elle paraît trop proche d’une contraventionalisation, voire d’une dépénalisation». Le mot tabou!

 

Enfin, observons comment sur le sujet récurrent du trafic et son cortège de violences, la presse s’efforce toutefois d’aller au-delà du constat factuel, au travers d’enquêtes, d’interviews et de témoignages. LM du 31/3 explique comment «l’État tente la reconquête de 39 cités de Marseille» par une «approche globale» qui coordonne «la répression et le traitement social du problème».

Traitement à l’efficacité douteuse: «vu le niveau de la demande et les enjeux financiers, un plan ‘came’ démantelé rouvre dans les jours qui suivent», regrette un commissaire. À partir du même constat, une sociologue élargit l’analyse en incitant à «envisager la légalisation, parce que c’est la criminalisation du commerce qui génère tant de violence.». Pour expliquer pourquoi la légalisation du cannabis «reste un tabou pour les parlementaires» (mais pas pour les maires des cités concernées), S. Gatignon, interviewé par Libé du 21/4, répond qu’ils sont «déconnectés» et ont «une vision très moralisatrice». Certains sont même inconséquents: «Je connais des députés qui sont de gros fumeurs de joints et qui continuent à refuser ce débat.» Pendant ce temps, sur le terrain, les éducateurs sociaux se débattent avec les dilemmes que pose la prohibition: «comment entendre des confidences, fréquenter des lieux de deal (…) sans cautionner ni passer pour des complices aux yeux des habitants?» se demande l’un d’eux, dans une enquête menée par Libé à Marseille (31/5). Des habitants qui, lassés «des réponses pas du tout adaptées», manifestent contre la violence (LM et Libé du 2/6), mais pas contre sa cause fondamentale… B. Vallaeys, dans Libé (2/6), pose la bonne question: «quant aux réseaux de drogue sauvages et son caïdat synonyme d’enfer dans les cités, ne suffirait-il pas de légaliser la vente du cannabis (80% du marché) pour y mettre un terme?». Une mesure trop paradoxale et surtout peu martiale pour notre ministre de l’Intérieur, engagé inflexible dans «un combat de civilisation» contre la drogue (La Provence du 31/5), combat motivé par une blessure familiale (Libé du 7/6). Le combat de civilisation, c’est contre la prohibition.

 

Le cannabis, on ne lutte pas contre, mais on se détend ou on se soigne avec!

par Raph

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *