« Qui changera le monde? Ceux qui le détestent. » Kuhle Wampe, Berlin, 1932.
Pour les consommateurs de cannabis en Italie la situation est souvent représentée comme plutôt sombre et défavorable à l’installation de Clubs Sociaux du Cannabis. Cependant, quelques événements récents nous indiquent que quelque chose pourrait changer. Non seulement l’intérêt pour le concept de Club Social du Cannabis est de plus en plus important, mais aussi quelques signaux de l’appareil légal nous parviennent comme par exemple les dernières sentences de trois tribunaux qui demandent au Tribunal Constitutionnel de se prononcer sur la légitimité des lois anti-drogues en vigueur depuis sept ans. Ces lois furent présentées comme nécessaires et urgentes dans un décret destiné à financer les Jeux Olympiques de Turin en 2006. Il est reconnu qu’elles ont été formulées et approuvées dans des circonstances troublantes pour le peuple italien, qui, dans un référendum en 1993, avait exprimé sa volonté de dépénaliser complètement la consommation de drogues.
L’ex-»Monsieur drogue» Carlo Giovanardi, coauteur des infâmes lois concernant les drogues a été quelque peu énervé par ces événements qui mettent en cause ses activités principales. Dans une déclaration inattendue lors d’une interview à l’agence de presse Dire le 16 juillet, Giovanardi a laissé place à la possibilité de cultiver une plante de cannabis chez soi: «Concernant la petite plante qui n’est pas cultivée dans l’esprit d’une plantation, c’est à dire une plante que l’on peut avoir sur un balcon, je suis tout à fait d’accord, on peut discuter de la dépénalisation. Mais ne touchez pas mes lois pour ceux qui vendent de la drogue.»
En même temps Giovanardi demande à la Chambre des Députés de ne pas toucher la loi concernant les différentes sanctions relatives aux drogues douces et aux drogues dures. «Pour l’instant j’aimerais inviter la Chambre des Députés à demander aux toxicologues qu’ils expliquent que les principes actifs contenus dans la plante de cannabis et de ses dérivés sont aujourd’hui tout à fait différents qu’il y a 30 ans et qu’ils ont des effets toxiques dévastateurs chez ceux qui les consomment». Donc, continue Giovardani, «l’idée de sanctionner de façons différentes ce qui concerne la cocaïne, l’héroïne ou l’ecstasy d’une part et le cannabis d’autre part est complètement hors de la réalité, précisément à cause des effets dévastateurs du cannabis. Il suffit de demander aux familles des victimes d’accidents de la route provoqués par ceux qui ont écrasé ou assassiné sous les effets du cannabis.»
Cette déclaration est une réponse à la proposition de loi de Daniele Farina, membre de l’opposition de gauche au Parlement italien et promoteur historique des plantations de chanvre et des fêtes traditionnelles des récoltes du Centre Social Leoncavallo de Milan. Quand il a présenté le projet à la Commission de Justice, Farina a déclaré que «dans le courant de l’année 2011 presque 2 billions (milliards ?) d’euros ont été dépensés pour la répression des drogues, dont 48,2% investis dans le système carcéral, 18,7% dans les activités de la police et 32,6% dans les tribunaux et les préfectures. Il faut aussi tenir compte que les bénéfices du commerce illégal atteignent presque 60 billions (milliards ?) d’euros». En même temps la population carcérale a augmenté de plus d’un tiers, selon Farina, à cause des lois concernant les drogues. En 2011 ils étaient 41,5% soit 27 947 prisonniers sur 67 394.
Le projet de loi tente d’inverser la tendance actuelle à partir de deux initiatives très simples, d’une part en dépénalisant la culture du cannabis chez soi «pour usage personnel ou donné à un tiers, sauf aux mineurs, pour consommation immédiate, et d’autre part et c’est tout aussi important, la réintroduction de sanctions différentes selon les substances.»
Il est difficile de savoir à l’avance si l’effort de l’opposition de gauche sera une réussite à cause de la grande coalition qui gouverne le pays. Initialement, la proposition de loi fut signée conjointement par quelques membres du Parti Démocrate et les autres composantes parlementaires importantes ne s’opposent pas ouvertement au projet.
Un autre point important: dans le courant de l’année 2013 trois tribunaux supérieurs et la Cour de Cassation ont déclaré inconstitutionnelle la loi de Giovardani pour avoir été adoptée dans des conditions douteuses. Ils la considèrent comme un acte de nécessité et d’urgence illégitimes, dans un contexte de procédure illégitime, et aussi parce que cette loi ne fait pas de différence entre le cannabis et les autres drogues.
Selon de nombreux observateurs, la façon dont le changement radical des politiques des drogues a eu lieu en 2006 constitue un imbroglio, une véritable escroquerie. Les membres du Parlement se sont vus obligés à voter une mesure simple et économique, y incluant un rapide changement radical dans les politiques de drogues presque sans débat.
La faute reconnue par le Tribunal de Cassation est désormais utilisée par quelques personnes mises en examen judiciaire pour du cannabis car la loi fait l’objet d’une révision et des condamnations pourraient bien être annulées.
Selon M. Saraceni, avocat reconnu et ancien membre du Parlement, afin de contourner le référendum populaire de 1993 qui a dépénalisé la consommation de drogues, les partis de droite ont proposé d’abord d’introduire une petite correction dans une autre loi pour que des prisonniers récidivistes dépendants de drogues soient sous traitement. Ainsi, comme un abracadabra plus proche d’un cirque que d’une assemblée parlementaire dans un pays occidental, se sont glissés 23 articles dans un même décret qui est finalement passé sans peine ni gloire.
L’escroquerie italienne est clairement le reflet d’une autre escroquerie plus générale connue sous le nom de guerre contre les drogues. On peut se rappeler d’autres cas comme la reclassement du cannabis qui est passé en Grande-Bretagne contre la volonté de la majorité des toxicologues, ou du récent effort pour criminaliser la consommation de drogues au Brésil. Mais la manoeuvre italienne a probablement été la plus obscène.
La nécessité et l’urgence qui furent invoquées pour faire adopter les lois concernant les drogues les plus terribles d’Europe occidentale a contribué à saturer le système pénitentiaire avec la population des consommateurs et cultivateurs de cannabis.
Pour trouver une sortie à cet imbroglio il faut une mobilisation massive pour mettre un terme à cette escroquerie et pour imposer une meilleure défense des amis du cannabis persécutés devant les tribunaux. Un engagement plus ouvert avec ceux qui n’aiment pas l’oppression et qui pourraient agir pour le changement est aussi souhaitable, unissant autant les activistes anti-prohibitionnistes que les victimes de cet emmêlage.
Bulletin n° 102. encod.org avec nos plus vifs remerciements à l‘auteur et à Encod pour cette contribution généreuse et pas très volontaire.
par Enrico Fletzer